vendredi 30 août 2013

La lutte à la culotte, ou la lutte sans culotte dans la boue: à choix




La Fête fédérale de lutte suisse et des jeux alpestres se tient jusqu'à dimanche dans la petite ville de Burgdorf (Berthoud en français). Sur leur pantalon blanc qui les distingue comme "citadins", ou foncé comme "bergers", les lutteurs portent une culotte de jute à la braguette ouverte. Ils s'affrontent sur un rond de sciure humidifiée de 15 cm d'épaisseur et 14 m de diamètre devant un arbitre et deux juges de table. La passe s'achève dès qu'il y a un vainqueur ou à la fin du temps réglementaire. Le perdant est celui dont le dos -- des fesses aux omoplates ou des omoplates à la nuque -- touche la sciure alors que son adversaire le tient par la culotte.

La culotte de jute.
Cette année, 278 colosses de passé 110 kg combattront et le prix attribué au Roi de la lutte sera un taureau vivant. Les viennent ensuite recevront des boeufs, des poulains, du mobilier ou des outils. On attend près de 300'000 visiteurs sur les trois jours de beau temps. Ils avaleront des steaks de porc, du poulet, 80'000 saucisses, plus de 200'000 litres de bière, 20'000 bouteilles de vin et parleront principalement le Schwiizerdütsch -- l'un ou l'autre des multiples dialectes suisses-alémaniques. Les autres compétitions rassembleront 85 lanceurs de pierres de 20 et 40 kg, ainsi que 400 joueurs de hornuss, sport qui consiste à placer un palet, le hornuss (frelon), hors de portée de l'équipe adverse. Le frelon est mis en mouvement à l'aide d'une tige flexible, appelée fouet, et envoyé à plus de 150 km/h en direction de l'équipe adverse qui doit l'intercepter avec un palet.

Un de mes potes est un écrivain fasciné par les lutteurs à la culotte, leur vie à la ferme ou à la fromagerie, les entraînements, la rudesse et l'homosensualité des prises. Il décrit tout cela avec délice, persuadé qu'il peut ainsi exprimer sa passion des corps mâles sans sortir du bois... Je préfère l'action à l'observation, la sensualité de la boue et des corps nus à l'exhibition machiste ou aux chutes dans la sciure. Deux souvenirs...




Un dimanche d'été sur une plage de sable au bord d'un lac. Les familles barbotent et nageotent, leurs voiliers et canots automobiles ancrés au large. Un orage déboule sur ce petit monde qui fuit à toute allure. Les gays naturistes planqués derrière les roseaux aussi. Un pote et moi mettons nos effets à l'abri et courons sur la plage désertée en hurlant de plaisir, fouettés par une pluie drue. La foudre tombe plus loin, nous sommes en sécurité et le ciel s'éclaircit un quart d'heure plus tard. Nous nageons, nous roulons dans le sable boueux, en rajoutons des couches, pissons d'énormes jets le plus haut possible -- les jeux de l'enfance retrouvée. Plus tard, toujours à poil, nous traversons la forêt ruisselante pour rejoindre nos voitures et tombons dans la gadoue en enjambant un ruisseau sur un tronc d'arbre abattu. Heureusement, il y a une fontaine sur le parking déserté et nous nous nettoyons de la tête aux pieds, le corps en effervescence très évidente d'avoir été traversé par les frissons de l'air, de l'eau, du sable et de la boue.



La boue, le limon fertile des fleuves déposé sur les champs, c'est la matière dans laquelle le Créateur nous a pétris. C'est l'essence de l'oeuvre alchimique. Les animaux s'y roulent pour se protéger du soleil et des piqures d'insectes. Transmutée par le feu, elle devient poterie ou objet d'art. Lorsque nous retrouvons son contact humide, notre corps vibre en harmonie avec les éléments dont il est lui aussi constitué... Deuxième expérience. C'était au cours d'un stage né de la libération sexuelle post-soixante-huitarde. Nous avions travaillé avec de l'argile, sué dans un sauna et l'épouse d'un participant m'avait rejoint sous la douche. Je tenais un bloc d'argile dont nous nous sommes frottés partout vraiment partout. Et il m'est arrivé une chose rare: je bandais comme un bouc tout contre cette femme qui, pourtant, me laissait indifférent. Pouvoir mystérieux de l'argile qui recréait l'Adam... 




Autrement, je me suis roulé dans la boue avec un mec dans une lutte feinte au bord de la mer Morte. Ma mère était présente, nous portions des slips... Et j'ai observé des lutteurs s'entraîner à l'aube dans la boue desséchée au bord du fleuve, à Calcutta. L'objet d'un autre billet.

André

lundi 26 août 2013

Un père de famille, qui aime aussi les hommes, ouvre son coeur...

Philippe a répondu à une petite annonce
et s'est pris un sacré rateau. Au fil de la lecture,
vous comprendrez comment et pourquoi.

Salut "Brandon"!
Tu souhaitais rencontrer un mec, même "pas libre", écrivais-tu? J’ai répondu à ton annonce! Et non, je n’ai pas honte... En tout cas beaucoup moins que par le passé. Oui, je suis un mec marié, donc pas libre comme je te l’ai précisé. Un homme qui a des relations sexuelles avec des hommes pour le sexe, un HSH. Car je sais maintenant que ça existe et qu’on n’a pas créé cette catégorie uniquement pour moi… Pas trop honte, disais-je? Je t’avoue que je suis loin de me sentir totalement libre, dégagé et à l’aise dans mon histoire plutôt douloureuse et compliquée (doux euphémismes).  Les pénibles réactions que j’éprouve encore à la lecture de tes propos hargneux et de ta morale, tirée à bout portant, en sont la preuve: touché! Mais pas coulé! Pourtant je n’ai rien d’un cuirassé…

Oui, toi tu fais partie des braves qui ont osé faire le pas et marchent la tête haute. Moi, pas, pour toutes sortes de raisons qui t’échapperaient sans doute. Disons qu’il m’a déjà été long et difficile de m’avouer cela à moi-même et surtout d’y mettre des mots. Enfin de l’accepter, sans vouloir me laisser détruire ou le faire payer cher à mon entourage !...

Disons à ma possible décharge que je n’ai jamais été dupe de ce que j’éprouvais, ni enclin à feindre la rude et campagnarde virilité qui aurait été de mise dans mon milieu. Par ailleurs, personne n’aura jamais décelé chez moi la moindre trace d’une attitude homophobe. Parce qu'à côté d’une sexualité hors norme, la Nature m'a aussi doté de la lucidité qui l'accompagne souvent. Je tiens à le préciser pour m’inscrire en faux contre cette attitude que tu me prêtes abusivement… Laisse-moi au moins cela! Mais c’est vrai, les mots qui m’auraient fait sortir du placard n’ont jamais pu monter jusqu’à mes lèvres et sont restés étranglés dans ma gorge, étreignant ce souffle qui aurait pu les porter dehors…


Je précise (perfidement) que, contrairement à certains, si fiers de leur coming out, je n’ai jamais eu la (mal)chance de me faire pincer en flagrante hérésie… Oui, je sais que certains donneurs de leçons actuels ne sont sortis de leur placard que parce qu’ils s’y sont fait surprendre, autrefois…

Alors voilà, "Brandon ", il y a probablement du vrai dans tes remarques. J’en prends la part qui me revient et vais tenter de l’accepter, comme je dois aussi accepter tout le reste… Que ma vie n’aura été que ce qu’elle est, pleine de doutes, de peurs, d’angoisses, de fatigues, d’espoirs fracassés… et de honte aussi... Avec parfois l’envie de prendre un raccourci pour arriver plus vite au bout de tout cela. Donc oui, l’Enfer existe. Et il n’est nulle part ailleurs que dans cette vie et sur cette Terre… Et ce n’est sûrement pas dans le jardin  des autres qu’il est à chercher, comme l’a dit Jean-Paul le Surfait !

Et accepter aussi que ma vie aura été une découverte, un chemin non tracé et sans but… Rien d’autre que cela. Accepter alors cette simple évidence: sur un chemin, qui ne mène nulle part, tout raccourci serait absurde… Dès lors, avec le temps, ce rien d’autre que cela m’apparaît certains jours comme un Tout, très plein, cohérent et productif. Comme si un ami me soufflait à l’oreille: "T’occupe donc pas d’où tu vas, ni d’où tu viens, Philippe! Avance et tâche de garder les yeux et l’esprit ouverts. Regarde et goûte ce qui se présente à toi… sans préjugés."



N’attendre rien, n’exclure rien -- pas même les mouches et les araignées! Accepter de ne pas savoir; de ne pas pouvoir; de ne plus maîtriser. Accepter de rendre les rênes et de se laisser porter, emporter en toute conscience et, peut-être même, confiance… Accepter d'apprendre que, si les pas de l’amour et ceux du désir se croisent parfois, il peut aussi leur arriver de ne pas se superposer indéfiniment. Reste pourtant ici l’amour et reste aussi le désir, mais  peut-être ailleurs !...

Accepter enfin que le Paradis est aussi sur cette Terre et le découvrir dans le regard des autres, de ma femme et de nos enfants, dans la joie. Cette joie encore sans mélange à la vue du tout petit dernier fraîchement débarqué dans ce monde. Dans le regard de ceux qui chantent à mes côtés et du pianiste qui m'accompagne. Dans celui d’un ami... ou d’un amant! Et même dans les yeux de cet âne, à la clôture de son pré, avec son nez si doux et son souffle tiède, semblant quêter de la tendresse au creux de ma main, ce soir d’hiver où j'en avais pourtant si peu pour moi-même…

Accepter tout et ne garder rien… Me vider totalement et, peut-être, me remplir à nouveau. La grande respiration de la Vie… Celle par laquelle je nous souhaite à tous deux, "Brandon" d’arriver à nous laisser porter… un jour. Bonne chance dans ta quête…

Philippe