dimanche 30 novembre 2008

Conjugo (2) -- Chaque soir durant une semaine: la thérapie conjugale du révérend Young


C
oup double lors du prêche, dimanche 16 novembre, du révérend Ed Young -- prédicateur de la Fellowship Church, communauté évangélique comptant 20'000 membres [un succès: il l'a fondée en 1990]. Ed vante les bienfaits de la relation sexuelle intentionnelle et propose un exercice
thérapeutique à ses paroissiens mariés: se connaître bibliquement chaque soir durant la semaine qui vient. L'histoire a fait le tour des Etats-Unis. Ma soeur, mon frère, n'attends pas d'en avoir envie, fais-le chaque soir; et à la fin du marathon, à l'instar du Créateur, ton couple verra "comme c'est bon". Toute une semaine sans invoquer les excuses traditionnelles -- je ne le sens pas ce soir, j'ai mal à la tête, je dois me lever tôt, j'ai trop mangé, les enfants ne dorment pas encore...

Coup double. Parce que dans la dépression qui frappe les croyants fondamentalistes (et républicains) après l'élection d'un homme de couleur bien plus intelligent et élégant qu'eux, trop loyal pour lancer des accusations mensongères contre ses concurrents, il fallait trouver une diversion à leur dépit rageur. D'autant plus que la fin du monde promise n'a pas eu lieu, malgré le prénom musulman et les idées communistes de l'élu. Quoi de mieux qu'un peu de choubidou pour requinquer les paroissiens? Et ameuter les médias qui eux aussi cherchent à distraire le peuple après l'indigestion de la campagne. Alors, un révérend qui prêche en faveur du cul, c'est du pain béni! Ed et sa femme passent sur toutes les chaînes de TV.

Lorsqu'on tient un bon sujet [conseil aux prédicants, aux politiciens et aux nymphomanes] on ne le lâche pas. Le dimanche suivant, le pasteur Ed et sa femme Lisa poursuivent sur le même thème: remettre Dieu au centre du lit conjugal [cela fait beaucoup de monde avec les fantômes de deux fois papa et maman, des maîtresses et amants passés et maintenant le pasteur en plus...]. Mise en condition des paroissiens: un lit double au centre de la scène d'où Ed prêche habituellement [lors d'autres péroraisons, j'y ai vu une voiture de sport, ou une cuvette de wc -- ce qui permet aux croyants d'identifier le culte à une téléréalité]. Le pasteur est assis sur la couette, son épouse a pose ses fesses plus haut, sur le pied de lit -- bonne indication du metteur en scène pour faire oublier l'injonction de Paul aux Éphésiens: "Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. Les femmes à leur mari, comme au Seigneur, car le mâle est la tête de la femme comme le Christ est la tête de la Communauté..." Le prêche est diffusé par la télévision et il ne faut pas énerver la ménagère de moins de 49 ans (dans son royaume de fanfreluches: la chambre à coucher) en insistant sur la primauté des mecs. Il y a longtemps qu'elles y ont mis fin.

Lisa attaque: "Certains parmi nous sourient" et reconnaît que pour d'autres qui doivent régler des conflits -- infidélité, addiction, pornographie ou d'autres blessures --, les sept jours de marathon sexuel "ont été douloureux, mais j'espère aussi l'occasion d'accorder le pardon". Ed prend sa voix de conseiller spirituel: "Poursuivez ce que vous avez réalisé cette semaine. Nous devrions arriver à doubler la qualité d'intimité que nous connaissons dans le mariage. Par intimité, je n'entends pas juste se tenir la main en se promenant dans un parc, ou se faire un massage du dos". Le pasteur adapte les recettes que son équipe de rédaction a puisées dans la littérature spécialisée et y ajoute des "Dieu veut que nous...", "Dieu dit..." qui lui permettent de repasser les plats
. Peut-être que, pour certains couples, la sainte incitation à baiser dans la joie et la liberté a été libératrice. Mais les autres ont été renvoyés à la colère, aux larmes, à la prière et à leur impuissance face à des difficultés qui paraissent insurmontables.

Ed et Lisa dirigent un petit empire. Je ne sais pas s'ils ont déjà
atteint le niveau de l'escroquerie ou si le désir de servir leur prochain est (encore) sincère. Outre la paroisse de Grapevine (Texas) et d'autres églises satellites dans la région de Dallas et à Miami, ils gèrent la retransmission télévisée de leurs shows à travers le monde. Ils publient un blogue, des DVD et des livres. Les deux derniers, 365 Nights et Just Do It traitent aussi du couple en manque de relations sexuelles satisfaisantes, un filon infini.

Quant aux célibataires et aux couples non mariés -- hétéros ou homos -- ils n'ont qu'à suivre la voie unique que les religions ont tracée s'ils veulent obtenir l'autorisation de baiser à corps perdu et âme retrouvée.

Ulysse

dimanche 16 novembre 2008

Conjugo (1) -- Ed Houben se masturbe pour faire des enfants


"F
aire des enfants": l'expression est épouvantable, mais elle convient à Ed Houben, de Maastricht (Pays-Bas), un garçon timide qui propose sa semence sur l'internet et en fait réellement l'offrande comme il sied à un donneur de sperme. Interviewé par Jan van Tienen pour Vice, magazine germano-suisse, Ed
annonce 46 rejetons, alors que six femmes attendent un heureux événement dû à ses services.

Ed vient au secours des femmes seules, des couples de lesbiennes et des maris stériles. "Il y a cinq ans,
j'ai découvert que la demande de sperme était plus grande que l'offre. Je cherchais un moyen d'être utile à mon prochain et j'envisageais de travailler dans la Santé publique. Mais là, j'ai trouvé ma voie: offrir un enfant à quelqu'un." Oui mais, putain de sort: 46 enfants, cela ne va-t-il pas un peu loin? "J'arrêterais tout de suite s'il y avait suffisamment de donneurs. Je ne fais pas cela par égoïsme, mais il me plaît de rendre d'autres gens heureux."

Au début, Ed pratiquait le service à domicile; il se rendait jusqu'en Belgique ou en Allemagne pour livrer le jus fraîs du pressoir (jamais de surgelés). Aujourd'hui, il fait la connaissance des demandeuses et demandeurs par courriel, s'assure qu'ils ont l'étoffe de parents honorables, puis les convoque à Maastricht où ils s'intallent à l'hôtel. "Je les inviterais bien chez moi, mais ma maman n'est pas encore en maison de retraite." Il se rend à l'hôtel, se retire à la salle de bain, se masturbe et livre la crème encore chaude. "La plupart du temps, je reste jusqu'à ce que la femme ait terminé l'insémination, puis je rentre chez moi." Ensuite? Inséminateur et inséminée renouvellent l'exercice jusqu'à ce que grossesse s'ensuive. Puis c'est aux parents de garder le contact avec lui ou non.

Ed se donne corps et âme à sa vocation. Les cycles ovariens des demandeuses dictent son emploi du temps. "Récemment, j'ai dû intervenir à cinq reprises durant le même week-end. La première femme le vendredi, deux le samedi, une dimanche et la dernière lundi. Quand même, deux d'entre elles sont devenues enceintes!" Alors, on lui demande la recette. "Je ne porte pas de jeans serrés, les testicules doivent être toujours bien aérés. Je ne prends pas de bains trop chauds et évite le sauna. Je bois très peu d'alcool et avale
régulièrement de l'acide folique [vitamine B11, germes de blé] et des capsules d'huile de poisson.

Cette année, Ed Houben a organisé une rencontre de famille. Seize femmes qu'il avait engrossées ont répondu à l'invitation; plusieurs sont venues avec compagne/compagnon et enfant -- en tout trente personnes. "Les mômes m'ont été présentés; cinq minutes après, ils jouaient les uns avec les autres. Leur réaction: 'Ah, c'est lui papa; et maintenant, à quoi on joue?' C'est bien ce que j'imaginais."


Ed ne se sent pas "père" lorsqu'une femme lui annonce une naissance. "Sinon, je ne pourrais pas être donneur." Mais il a pleuré en apprenant qu'un prématuré n'avait survécu qu'une heure. La mort de son frère lui est revenue en mémoire. "Heureusement, d'autres mères de mes enfants m'ont consolé. Certaines d'entre elles sont devenues de bonnes amies." Ed vit en célibataire. Il est timide, dit-il, et ne parle pas volontiers aux femmes. Quelques-unes de ses inséminées sont tombées amoureuses de lui, mais il n'a pas ressenti d'élan réciproque. Pourtant, avec sa générosité et ses talents, il n'y aurait pas de quoi être emprunté vis-à-vis des femmes. Et s'il était un éjaculateur précoce? En tous cas, c'est un atout dans son ministère.

Pour le moment, Ed a trouvé sa place dans la toile des relations humaines. Ce que la société normative veut absolument canaliser vers un seul modèle, le mariage, s'exprime en réalité de façons très diverses. Faute de mieux, je nomme le conjugo [ou conjungo] le faisceau des nombreuses combinaisons amoureuses ou amicales qui incitent deux êtres (voire plus) à conjuguer leur vie ensemble, de manière plus ou moins proche et intime, plus ou moins régulière, plus ou moins conformiste. Le mariage unique et absolutiste craque aux entournures -- pas pour tout le monde --, mais beaucoup cherchent des formules qui leur seraient mieux adaptées. En faisant du don de sperme un acte de solidarité amicale plutôt qu'une affaire médicale et commerciale, Ed participe à cette quête.

Ulysse -- Photo d'Ed Houben: Boudewijn Bollman

dimanche 9 novembre 2008

Prière pour que les salopards les plus fortunés restent des salopards


V
endredi après-midi, puisque la fine brume tardait à se dissiper, nous n'étions que deux à prendre le soleil sur les galets de la plage. Nue aussi, une femme m'entretenait avec une passion retenue des subtilités de sa profession: l'astrologie. Je ne sais pas dans quel journal elle publie ses conseils, ni où elle tient consultation. Elle m'a expliqué sur quelles bases elle se fondait pour tirer des prédictions, décan par décan. Puis nous avons parlé de la situation politique globale. Alors, en nageant dans l'eau de novembre -- de plus en plus claire et froide -- j'ai compris pourquoi
j'étais à ce point tétanisé, en colère, empêché d'écrire. C'était le grand brouhaha du monde au sujet de l'élection américaine qui me grippait totalement. Comme m'avait irrité le "Nous sommes tous Américains" clamé à hue et à dia après le 11 septembre...

Pendant des années, ces salopards d'Américains (il n'y a pas d'autre terme) ont laissé faire leur président et son clan -- par conviction, ou par ignorance et cécité; par patriotisme, par lâcheté. Par paresse, par calcul et tout ce que vous voulez. Les plus grands parmi les adversaires politiques de bébé Bush ont ratifié ses choix, ou modéré leur opposition...

Peut-être assistons-nous enfin à la victoire des forces de la bienséance élémentaire (decency), du respect de la diversité et de la solidarité envers les moins bien lotis. Too soon to tell. Mais c'est une victoire arrachée au forceps. Que d'argent dépensé par Obama & Compagnie pour acquérir une si faible majorité!!!

Qu'allons-nous faire maintenant? Prier? Prier Déesse ou Dieu, Allah, Shakti et Shiva, Bouddha ou tout autre Esprit que vous vénérez pour qu'Elle/Il remplisse les Démocrates d'une énergie nouvelle afin qu'ils ne salopent pas définitivement ce qui ne l'a pas encore été; qu'ils ne mettent pas les bâtons dans les roues du clan Obama après l'avoir encensé; qu'ils ne reprennent pas illico leur part de pouvoir personnel, mais pensent d'abord à l'intérêt de la communauté.

Peut-on espérer que les salopards des deux camps (et des médias) feront amende honorable, demandant pardon? Non, ils ne s'humilient publiquement que pour des affaires de cul.

Rob Brezsny, un maître de sagesse et mon astrologue préféré, habite les Etats-Unis. (Ce pays, comme le mien, est jonché de bombes à retardement qui cachent des mines d'or.) Il déclare: "L'étalage aveuglant de la cupidité, de la corruption et de la folie des grandeurs qui règne à l'échelon supérieur de la hiérarchie politique et financière américaines est une bénédiction pour l'humanité toute entière. La mise en évidence d'un tel chaos pourrait rendre plus difficile la poursuite des affaires comme à l'accoutumée: nous avons vraiment reçu un cadeau providentiel!"

Alors, Rob aussi y va de sa prière, qu'il adresse à la Déesse des escrocs et des voleurs. "Veuille dans Ta bonté continuer à inspirer les maîtres de la ploutocratie [gouvernement par les plus fortunés] et de la guerre, et leurs laquais des médias, afin qu'ils fassent durer leurs mauvais coups et que ceux de notre tribu qui dorment encore se réveillent et découvrent enfin le pot aux roses." *** Il faudra que nous parlions bientôt de l'échéance de 2012...

|| Ulysse -- "The Man From Illinois", illustration de Scott Siedman.

lundi 3 novembre 2008

Comment un héros nie la peur, fout en l'air sa vie et éventuellement celle des autres



Ceci n'est pas de la politique. Juste l'occasion d'observer les grimaces, les crispations de mâchoire, les sourires glaçants, les tics et les convulsions d'un vieil homme qui pourrait affecter le destin du monde entier ou disparaître dans l'oubli, suivant ce que décideront ses compatriotes dans les heures qui suivent. Pourquoi ce mec qui dit n'avoir peur de rien paraît-il si crispé lorsqu'il tire la langue?

Une phrase que John McCain a répétée lorsqu'il évoquait son expérience de prisonnier de guerre, a éveillé ma sympathie, ma curiosité et ma méfiance. C'était, à peu près ceci: "Je sais ce que c'est que la peur. Je l'ai ressentie dans le passé. Je ne la laisserai plus jamais m'envahir." Le discours d'un vrai héros, d'un macho accompli. Ou plutôt: d'un fanfaron qui se déchausse en public et retire sa chaussette, dévoilant son talon d'Achille. Et que voit-on? Le déni, l'angoisse existentielle, la trouille bien naturelle d'un guerrier qui a passé des années en captivité.

La thérapie psycho-corporelle à laquelle je m'astreins depuis quelques années demande de la patience de la part du thérapeute comme du... patient. La peur et la colère sont au centre de ce travail. Tant que tu ne te permets pas de regarder bien en face cette peur si humaine, si fondamentalement
installée dans tes tripes, tu ne vis pas dans ta réalité. Tu ne peux pas faire la différence entre ce qui est vraiment dangereux pour toi et tes peurs imaginaires. Tu ne peux pas utiliser tes forces de manière pleinement créative puisqu'elles sont mobilisées à faire barrage contre la peur. C'est la trouille de la trouille qui t'habite.

Si tu choisis le déni -- le remède de McCain pour lutter contre la peur -- l'angoisse persiste et te ronge encore plus. Prisonnier de son arrogance, le candidat républicain a distillé la peur durant toute sa campagne. Lui qui passait pour un politicien indépendant et parfois intègre, il a renoncé à ses positions afin de gagner à n'importe quel prix. L'ambition aveugle a détruit son honneur. Pour arriver à ses fins, conduit par le déni, il a semé les graines de la peur et de la haine au lieu de présenter un programme. Depuis George W. qui, avec son gang, a si habilement exploité le 11 septembre, les Américains chient de peur et de patriotisme dans leur froc. Ces derniers jours encore, beaucoup d'entre eux semblaient prêts à continuer à se faire chier avec McCain, le fils à papa, l'amant misérable, la tête brûlée,
le va-t-en-guerre.

John! quand la peur te serre les tripes, salue-la, respire à fond et invite-la à danser! Si tu reconnais qu'elle fait partie de ta vie, comme de la mienne, elle te collera moins à la peau; puis tu feras ce qu'il faut pour l'apprivoiser (peut-être avec la collaboration d'un professionnel) et elle t'aidera à t'aimer, à aimer ta femme, ton entourage. Tu sais, quand on t'observe avec Cindy pendant que tu l'embrasses à la fin d'un discours, on dirait que tu mords un rouleau de fil de fer barbelé. Je sais, la pauvre petite fille riche a tout raconté sur sa vie d'accro aux médics, et comment elle les volait. Je sais, tu as affirmé que tu ne ressentais aucune séquelle psychologique de ton enfermement au Vietnam du Nord; tu as même ajouté que tu ne t'étais jamais rendu compte des dépendances de ta femme angoissée. Mais la peur, justement, elle nous rend aveugle, sourd et muet face à la souffrance et à l'amour.

John! Est-ce que l'argent de ta femme, et peut-être la gloire demain, te suffiront jusqu'à la fin de tes jours? Et Sarah Palin, te suivra-t-elle jusqu'en enfer?

|| Ulysse